Pr Pierce Ratcliff,

docteur en philosophie

(Études sur la guerre)

Apt 1, Rowan Court,

112, Olvera Street Londres,

W14 OAB, Royaume-Uni

Fax : █████████

E-mail : █████████

Tél. : █████████

Des fragments d’une partie (?) de la correspondance entre le Pr Ratcliff et la directrice de collection de son éditeur, découverts insérés entre les pages du texte – peut-être dans l’ordre de relecture du tapuscrit d’origine ?

Anna Longman

Directrice de collection

University Press

9 octobre 2000

Chère Anna,

J’ai été ravi de vous rencontrer enfin en personne. Oui, je crois qu’il sera beaucoup plus raisonnable de procéder avec vous aux révisions, section par section, surtout quand on prend en compte le volume de matériau, la date de publication fixée en 2001, et le fait que je suis encore en train d’affiner les traductions.

Dès que je disposerai d’une liaison Internet correcte, je pourrai vous transmettre le travail directement. Je suis heureux que vous soyez raisonnablement satisfaite de ce que vous avez pour l’instant. Je peux, bien entendu, diminuer le nombre de notes en bas de page.

Vous êtes bien aimable d’admirer la « technique de distanciation littéraire » qui emploie pour le catholicisme du XVe siècle des termes tels que le « Christ Vert » ou la « Croix des Ronces ». En réalité, il ne s’agit pas du tout d’une technique personnelle pour garantir que les lecteurs n’imposent pas au texte leurs conceptions erronées de la vie médiévale ! C’est une traduction littérale du bas latin, de même que les références mithraïstes du début. Inutile de trop nous inquiéter, cela fait partie d’un matériau légendaire au caractère fictif évident – lions surnaturels et autres – qu’on attribue à l’enfance de Cendres. Les héros attirent toujours à eux les mythes, et plus encore quand il ne s’agit pas d’hommes extraordinaires, mais de femmes extraordinaires.

Peut-être le Codex de Winchester vise-t-il à suggérer les connaissances limitées de Cendres enfant : à huit ou dix ans, elle ne connaît que les champs, les bois, les tentes de campagne, les armures, les lavandières, les chiens, les soldats, les épées, les saints, les Lions. La compagnie de mercenaires. Les collines, les fleuves, les villes – les lieux n’ont pas de nom. Comment saurait-elle en quelle année elle vit ? Les dates n’ont pas encore d’importance.

Tout cela change, bien entendu, dans la section suivante : la Vie de Del Guiz.

Comme Vaughan Davies, le compilateur de l’édition de 1939 des documents « Cendres », j’emploie la version originale allemande de la Vie de Cendres par Del Guiz, publiée en 1516. (À cause de sa nature scandaleuse, le texte fut immédiatement retiré de la circulation et réédité dans une version expurgée en 1518.) À quelques menues coquilles près, cet exemplaire est en accord avec les quatre autres exemplaires de la Vie de 1516 qui ont survécu (à la British Library, au Metropolitan Muséum of Art, au Kunsthistorisches Muséum de Vienne, et au musée de Glasgow).

Ici, je possède un avantage considérable sur Vaughan Davies, qui signait la version de 1939 – je peux employer des termes explicites. J’ai par conséquent traduit ce texte en anglais moderne courant, en particulier les dialogues, où j’emploie des versions élégantes ou argotiques de notre langue pour marquer certaines différences sociales de l’époque. Qui plus est, les soldats médiévaux étaient réputés pour leur vocabulaire ordurier. Toutefois, lorsque Davies traduit fidèlement les jurons de Cendres par : « Par les os du Christ ! », le lecteur moderne ne ressent rien du choc que cela représentait à l’époque. Par conséquent, j’ai là aussi employé des équivalents modernes. J’ai bien peur qu’elle ne dise assez souvent « bordel ».

Quant à votre question sur l’emploi de différents documents sources, j’ai l’intention de ne pas suivre la méthode de Charles Mallory Maximillian. Malgré toute mon admiration pour son traitement de 1890 des documents « Cendres », dans lequel il traduit à tour de rôle les divers codex latins, chaque Vie, etc., et laisse chaque auteur parler en son nom propre, je crains que cela n’exige davantage des lecteurs modernes qu’ils ne sont prêts à fournir. J’ai l’intention de suivre l’approche biographique de Vaughan Davies, et d’intégrer les divers auteurs en une chronique cohérente de la vie de Cendres. Les endroits où les textes sont en désaccord recevront, bien entendu, les discussions didactiques appropriées.

Je suis conscient que vous allez être surprise par une partie de mes nouveaux documents, mais rappelez-vous qu’ils racontent ce que les gens croyaient sincèrement vivre, à l’époque. Et si vous gardez à l’esprit la transformation radicale de notre histoire qui va découler de la parution de Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne, peut-être vaudrait-il mieux ne rien rejeter avec trop de hâte.

Sincèrement vôtre,

Pierce

Pr Pierce Ratcliff,

docteur en philosophie

(Études sur la guerre)

Apt 1, Rowan Court,

112, Olvera Street Londres,

W14 OAB, Royaume-Uni

Fax : █████████

E-mail : █████████

Tél. : █████████

Réponse d’A. Longman manquante ?

Anna Longman

Directrice de collection

University Press

15 octobre 2000

Chère Anna,

Non, en effet – même si mes conclusions vont rendre les leurs complètement obsolètes, je m’estime extrêmement chanceux d’avancer dans les brisées académiques de deux immenses érudits. Le Cendres : une biographie de Vaughan Davies était encore un texte de classe quand j’étais à l’école ! Mon amour pour le sujet remonte encore plus loin, je dois l’avouer – aux Victoriens et à Cendres : vie d’une femme capitaine de mercenaires à l’époque médiévale, de Charles Mallory Maximillian.

Prenez, par exemple, Charles Mallory Maximillian quand il parle de cette terre unique, la Bourgogne médiévale – parce que, bien qu’au début des principaux documents « Cendres », l’on s’intéresse aux cours germaniques, c’est finalement à ses puissants patrons bourguignons qu’on l’associe surtout. Voici CMM en plein élan en 1890 :

L’histoire de Cendres est, à bien des égards, l’histoire de ce que nous pourrions appeler une Bourgogne « perdue ». De toutes les terres d’Europe occidentale, c’est la Bourgogne – ce glorieux rêve de chevalerie – qui, à la fois, dure moins longtemps que toutes les autres, et brûle à son zénith avec la plus grande ardeur. La Bourgogne, sous ses quatre grands Ducs, et en théorie sous la royauté de la France, devient l’ultime et le plus grand des royaumes médiévaux – consciente, alors même qu’elle est en sa fleur, qu’elle évoque une époque révolue. La vénération du duc Charles pour une « cour arthurienne » représente, aussi étrange que cela puisse nous apparaître dans les miasmes de notre monde moderne et industriel, une tentative pour tirer de leur sommeil les idéaux élevés de la chevalerie en cette terre de chevaliers en armure, de princes aux châteaux fabuleux, et de dames de beauté et de talents inégalés. Car la Bourgogne elle-même s’estimait corrompue : elle voyait son XVe siècle tellement éloigné de l’Âge d’or classique que seule la résurrection de ces vertus de courage, d’honneur, de piété et de révérence réussirait à le racheter. Ils n’ont point imaginé la presse à imprimer, la découverte du Nouveau Monde, ni la Renaissance ; tous ces événements qui allaient s’accomplir au cours des vingt dernières années de leur siècle. Et de fait, ils n’en eurent aucune part.

Telle est donc cette Bourgogne qui s’efface des mémoires et de l’Histoire en janvier 1477. Cendres, Jeanne d’Arc de Bourgogne, périt lors de la bataille. Le grand duc téméraire meurt, occis par ses anciens ennemis, les Suisses, sur le champ de bataille hivernal de Nancy ; gît deux ou trois jours avant qu’on puisse identifier son corps, car la piétaille l’a dépouillé de tous ses beaux atours ; et voilà que trois jours s’écoulent, ainsi que Commines nous le narre, avant que le roi de France ne puisse pousser un grand soupir de soulagement et se mettre en devoir de disposer des terres des princes de Bourgogne. La Bourgogne disparaît.

Pourtant, si l’on étudie les faits, fort évidemment, la Bourgogne ne disparaît pas le moins du monde. Comme un ruisseau qui plonge sous la terre, elle court au travers de l’histoire de l’Europe ; ses provinces du Nord deviennent les Pays-Bas ; celles du Sud se fondront dans cet Empire austro-hongrois qui – canonique géant – survit encore à ce jour. Nous pouvons dire que nous nous souvenons de la Bourgogne comme d’un pays perdu et doré. Pourquoi ? Qu’est-ce donc que nous nous remémorons ?

Charles Mallory Maximillian (compilateur) Cendres : vie d’une femme capitaine de mercenaires à l’époque médiévale, J. Dent & Sons, 1890 ; puis réédité en 1892, 1893, 1895, 1896, et 1905.

CMM, bien entendu, est le moins sérieux des deux, tout empli qu’il est de postures victoriennes romantiques, et je ne me base pas sur lui pour mes traductions. De façon ironique, bien entendu, son histoire narrative est bien plus lisible que les histoires sociologiques qui ont suivi, quand bien même elle est moins exacte ! Je suppose que j’essaie de réussir une synthèse entre la rigueur historique et la précision sociologique d’un côté, et le lyrisme de CMM de l’autre. J’espère que c’est possible !

Tout ce qu’il dit est parfaitement vrai, évidemment – la collection de régions, de provinces et de duchés qui composaient la Bourgogne médiévale a bel et bien « disparu de l’histoire », pour ainsi dire (mais pas avant que Cendres ait pris part à quelques-unes de ses plus notables batailles). C’est vrai au sens où l’on a écrit remarquablement peu de chose sur la Bourgogne après son effondrement de 1477.

Mais c’est ce lyrisme nostalgique de CMM pour cette « Bourgogne perdue », une parenthèse magique de l’Histoire, qui m’a fasciné. En relisant tout cela, j’éprouve une satisfaction totale, Anna, d’avoir trouvé, dans mon propre domaine, ce qui était « perdu » – et déduit exactement les implications de cette découverte.

Je vous joins la nouvelle tranche de traduction complète, la première partie de la Vie de Del Guiz : Fortuna Imperatrix Mundi. Une précision, à ce stade – bien que le plus gros de mon nouveau manuscrit, « Fraxinus », couvre des événements se déroulant plus tard en 1476 – je suis en mesure d’en utiliser certaines portions pour éclairer ces textes déjà connus, à partir de l’endroit où la chronique de Del Guiz parle de sa vie adulte en juin de cette année. Vous risquez de découvrir, même dans ces « vieux passages », quelques surprises qui ont échappé à CMM et à Vaughan Davies !

Je comprends bien que, pour votre prochaine réunion de ventes, vous avez besoin d’être « complètement briefée », pour reprendre votre expression, sur la nature de ma « nouvelle théorie historique » découlant de « Fraxinus ». Pour diverses raisons techniques, j’ai choisi, je le crains, de ne pas entrer tout de suite en détail dans ses implications.

Sincèrement vôtre,

Pierce